Je me nomme Apoline et fais partie du Clan McTire. Je suis la fille cadette du second fils du doyen actuel de ce clan.
Dans ma famille…Il n’est pas rare qu’un des membres du Clan soit spécial. Je veux dire par là, qu’il n’est pas rare que plusieurs membres voient le jour sous forme de réincarnation. Que ce soit celle d’un conte, d’une légende ou même d’un personnage de la mythologie. Malheureusement pour moi, je ne fus pas une exception à cette règle ‘familiale’. Quelle ne fut pas la joie et la fierté de mes parents lorsque leur petite fille chérie découvrit qu’en réalité, elle n’était rien d’autres que la réincarnation d’un personnage de conte. Et qui plus est, portant le même nom que leur marque de fabrique familiale. Car oui, McTire signifie du Loup. Et je la suis la seule, l’unique, la réincarnation du Grand Méchant Loup.
Si cette découverte fut dans un premier temps une joie commune, peu à peu mon enthousiasme se vit terni finissant par disparaître complètement. Certes, il y avait beaucoup d’avantages à être le Loup. Mais, il y avait également beaucoup d’inconvénient. Petit à petit, je fus recluse et cloitrée dans une petite bicoque perdue en plein milieu des bois et appartenant à ma famille. Pour ma propre sécurité, disait-on. Fort heureusement pour moi, je n’étais pas totalement seule. J’avais auprès de moi une personne à qui je pouvais me confier. Mon grand-frère.
Il n’était quant à lui rien d’autre qu’un simple humain. Banal. Autant que peut l’être un mortel. Il me tenait compagnie. Parfois, je me rappelle que nous partions en vadrouille pendant des jours. C’était à l’époque où je commençais seulement à découvrir des facettes de mon esprit qui se révélaient être de nature plutôt mutine, malicieuse et malveillante.
Je pris conscience de l’ampleur de mes capacités durant mon 11 ème hiver. Mon caractère se faisant de plus en plus froid, je commençais à devenir une solitaire, suspectant les rares personnes de mon entourage, toute sauf mon frère en qui j’avais une confiance aveugle. C’est d’ailleurs avec lui, que je peaufinais mes aptitudes de métamorphe. Plus je grandissais et mûrissait, plus mon moi animal se faisait puissant. Je sortais régulièrement en cachette de la maisonnette et disparaissait plusieurs jours ne revenant qu’à bout de force, les poils emmêlés, puants à la fois la transpiration et ...le sang.
J’eus tôt fait d’apprendre à comment me servir de mes puissantes mâchoires et des rangés de dents aussi aiguisés que des poignards qu’elles contenaient. Toutefois, mon esprit à cette époque était encore lucide, jamais je n’étais sous l’emprise de la bête durant mes chasses, je ne tuais que pour me nourrir.
Ce qui au début n’était que nécessité devint petit à petit un jeu...
Bien que vivant perdue dans une forêt, il se situait à l'orée de ces mêmes bois, un petit village où les gens légèrement en retard sur la société de l’époque vivaient de l’élevage, de la cueillette, du commerce mais surtout de la chasse...Ils avaient gardés les mœurs et croyances de leur ancêtres, vivant en quasi harmonie avec la forêt, mais au fur et à mesure que je grandissais, les rumeurs sur la "jeune fille aux cheveux roses" prenaient des tournures de plus en plus étranges et effrayantes. Bien qu’ils n’aient pas toujours totalement tort dans leur ragots et hypothèses me concernant, ces gens me craignaient, ils avaient tellement peur de moi qu’ils n’osaient m’approcher et interdisaient même à leur enfant de me parler.
J'étais pour eux, l'incarnation du mal...Une inconnue. Différente. Je finis par ne plus jamais me rendre à leur village, préférant y envoyer le personnel qui s’occupait de moi. Car, bien que vivant isolée, ma famille restait un clan puissant et aisé et de par ma naissance, j’étais une des héritières directes d’une des branches de ce fameux clan et cela signifiait que même exilée, je n’avais pas à me préoccupé des repas, du ménage ou d’autres tâches du même genre. Bien que ces petites abeilles pleines d'attention, voletant autour de moi étaient parfois de trop...
La crainte des villageois ne cessa de grandir au fur et à mesure des mois qui suivirent mon 13ème hiver. Mon frère qui pour l’occasion avait décidé de séjourner quelques temps avec moi -car malgré le fait qu’il me rendait de temps à autre des visites, il n’avait jamais passé plus de deux semaines avec moi - se retrouva bien impuissant lorsque le conflit éclata.
Je n’ai jamais oublié ce soir de pleine lune...Cette lune d’un rouge effrayant , mais elle n’en était que plus envoûtante...
Une petite fille avait disparu en forêt. Désobéissant à sa maman, elle était partie voir de plus près la maison de la jeune fille aux cheveux roses. Mais en chemin, la petite se perdit et tomba entre les mains d’un autre habitat de cette forêt, aux attentions beaucoup plus viles et beaucoup moins saine que celle qu’auraient pu avoir Apoline. Et pourtant, c’est cette dernière qu’on accusa. Le pauvre corps mutilé, fut déposé devant la demeure de la jeune McTire.
Je revenais d’une de mes balades quotidiennes lorsque je fus confrontée au cadavre estropié de la petite. L’odeur de la mort et la vue du sang m’était familier, mais malgré tout, mon âme fut touchée, j’étais horrifiée par la mort d’un être au visage si…innocent. Je la pris dans mes bras et sans penser aux éventuelles conséquences de mon acte, je me rendis pour la première fois depuis de long mois, au village. Les gens sur mon passage lâchaient leur occupation pour se mettre à murmurer entre eux des accusations.
Je n’avais rien fait…Ce n’était pas moi…Et pourtant, lorsqu’elle me vit, la mère de cette enfant se mit à crier. Elle hurlait de désespoir, détournant son regard de son enfant mort, une expression effrayante peinte sur son visage…
Je ne comprenais pas ce qu’il se passait autour de moi…Les habitants, désormais armés de bêches, pelles, faux et haches m’avaient encerclé, une lueur bestiale, une lueur de haine brillant dans leur regard. J’étais acculée. La mère, me bousculant me reprit son enfant des mains avec violence, me giflant et m’envoyant au tapis dans la terre poussiéreuse. Perdue…J’étais déboussolée. Je venais lui apporter sa fille…Je voulais lui expliquer, je voulais lui présenter mes condoléances, et pourtant…Et pourtant, la masse hargneuse se refermait un peu plus sur moi. Je vis rouge…Mon sang ne fit qu’un tour, me relevant, je tentais de me frayer un passage parmi eux…Je ne voulais les blesser… Mais ses gens effrayés me repoussèrent de plus belle. Je n’eus d’autre choix cette nuit-là que de révéler à tous qui j’étais vraiment.
Je tombais à quatre pattes, changeant progressivement de forme sous les regards écœurés de mes agresseurs. A partir de ce moment, je ne me souviens de rien. De rien d’autre que l’odeur de la peur, du sang et…de la mort.
Je n’ai que des bribes de souvenirs qui remontent de temps à autre. Je me rappelle d’une grande lumière… Des cris effrayés des villageois, mais je n’en étais pas la cause. Je me souviens du visage de mon frère et de celui d’une autre personne…Je ne sais pourquoi mais j’étais sûr qu’il était la cause de toute cette lumière. Je le sentis m’attraper, je l’entendais échanger quelques mots avec mon frère, d’un air autoritaire puis, tous disparu.
C’est ainsi que je connus l’Académie. M’éveillant à l’infirmerie, les côtes douloureuses, les muscles engourdis mais surtout l’esprit…vide. Je n’avais pas la moindre trace de sang sur moi, c’était comme si rien n’était arrivé…
Depuis, je vis ici, entre ses murs. Évitant les gens, blessée par mes expériences bien trop douloureuses de la vie, trouvant refuge auprès des arbres, défendant la forêt éparse qui entourait la bâtisse que je considérais désormais comme étant mon territoire.
L’Académie est devenue comme ma deuxième maison. Je ne cherche plus vraiment à savoir à qui appartenait les bras et la voix de cette nuit-là, mais il m’arrive parfois d’y repenser et de me poser toujours et encore, les mêmes questions.